La procédure d’expulsion locative constitue l’ultime recours dont dispose un bailleur face à un locataire qui ne respecte pas ses obligations contractuelles. Encadrée par les dispositions de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 et le Code des procédures civiles d’exécution, cette procédure se caractérise par un formalisme strict et des étapes successives visant à protéger les droits du locataire tout en permettant au propriétaire de recouvrer l’usage de son bien. Le législateur a instauré un équilibre délicat entre le droit de propriété et le droit au logement, reconnu comme objectif à valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 19 janvier 1995.
Les conditions préalables au déclenchement de la procédure
Avant d’entamer une procédure d’expulsion, le bailleur doit établir l’existence d’un motif légitime et sérieux. Le non-paiement des loyers constitue le motif le plus fréquent, représentant plus de 80% des contentieux locatifs selon les statistiques du Ministère de la Justice. D’autres motifs peuvent justifier une demande d’expulsion : le défaut d’assurance, la sous-location non autorisée, ou les troubles de voisinage caractérisés.
Le bailleur confronté à un impayé de loyer doit respecter un protocole précis. La première étape consiste à adresser une mise en demeure au locataire défaillant, par courrier simple puis recommandé avec accusé de réception. Ce document doit mentionner précisément le montant de la dette, détailler les loyers impayés, et accorder un délai raisonnable pour régulariser la situation, généralement entre 15 et 30 jours.
En l’absence de réponse satisfaisante, le bailleur peut faire délivrer un commandement de payer par huissier de justice. Ce document, régi par l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, constitue un acte juridique formel qui ouvre un délai de deux mois pendant lequel le locataire peut s’acquitter de sa dette. Le commandement doit, sous peine de nullité, reproduire les dispositions des alinéas 1 à 3 de l’article 24 précité et mentionner la faculté pour le locataire de saisir le Fonds de Solidarité pour le Logement (FSL).
Parallèlement, l’huissier est tenu d’informer la Commission de Coordination des Actions de Prévention des Expulsions locatives (CCAPEX). Cette commission, instituée par la loi MOLLE du 25 mars 2009, joue un rôle préventif en coordonnant les actions des différents acteurs sociaux susceptibles d’intervenir pour éviter l’expulsion. La saisine de la CCAPEX est obligatoire pour les bailleurs personnes morales, au moins deux mois avant l’assignation, lorsque le locataire est en situation d’impayés.
L’importance du diagnostic social et financier
La loi ALUR du 24 mars 2014 a renforcé les dispositifs préventifs en instaurant un diagnostic social et financier. Réalisé par les services sociaux du département, ce diagnostic évalue la situation du locataire et propose des solutions adaptées pour prévenir l’expulsion. Cette évaluation doit être transmise au juge avant l’audience, lui permettant ainsi de disposer d’éléments concrets pour apprécier la situation du locataire.
La phase judiciaire : de l’assignation au jugement
À l’expiration du délai de deux mois suivant le commandement de payer resté infructueux, le bailleur peut entamer la phase judiciaire en faisant délivrer une assignation au locataire. Ce document, signifié par huissier, informe le locataire qu’il est convoqué devant le tribunal judiciaire du lieu de situation de l’immeuble. Depuis la réforme de la justice entrée en vigueur le 1er janvier 2020, c’est le tribunal judiciaire qui est compétent, remplaçant le tribunal d’instance antérieurement compétent.
L’assignation constitue un acte procédural fondamental qui doit respecter un formalisme rigoureux prévu par les articles 54 et suivants du Code de procédure civile. Elle doit contenir, à peine de nullité, l’indication précise des demandes du bailleur (résiliation du bail, expulsion, paiement des loyers arriérés), ainsi que la mention de la possibilité pour le locataire de saisir le bureau d’aide juridictionnelle et les organismes d’aide au logement.
Une copie de l’assignation doit être transmise au préfet par l’huissier de justice au moins deux mois avant l’audience. Cette obligation, prévue par l’article L.412-5 du Code des procédures civiles d’exécution, permet au préfet de saisir les services sociaux compétents pour réaliser le diagnostic social et financier évoqué précédemment. Le non-respect de cette formalité peut entraîner la nullité de la procédure, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 28 novembre 2019.
Lors de l’audience, le juge examine les arguments des parties et tente de favoriser la conciliation. Le locataire peut solliciter des délais de paiement en vertu de l’article 1343-5 du Code civil, qui permet au juge d’accorder un échelonnement des dettes sur une durée maximale de 24 mois. Si le locataire s’engage à respecter un tel échéancier, le juge peut suspendre les effets de la clause résolutoire, maintenant ainsi le bail en vigueur sous condition du respect strict du plan d’apurement.
Le jugement rendu peut prononcer la résiliation judiciaire du bail et ordonner l’expulsion du locataire. Toutefois, même dans cette hypothèse, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation important. Il peut accorder des délais de grâce en application de l’article L.412-1 du Code des procédures civiles d’exécution, permettant au locataire de se maintenir dans les lieux pour une durée maximale de trois ans, si sa situation présente un caractère particulièrement digne d’intérêt.
L’exécution de la décision et ses modalités pratiques
Une fois le jugement d’expulsion prononcé et signifié, le locataire dispose d’un délai d’un mois pour former appel s’il souhaite contester la décision. L’appel n’est toutefois pas suspensif, ce qui signifie que l’exécution du jugement peut se poursuivre malgré cette voie de recours, sauf si le locataire obtient un sursis à exécution auprès du premier président de la cour d’appel.
À l’expiration du délai d’appel, l’huissier de justice peut délivrer un commandement de quitter les lieux. Ce document accorde au locataire un délai de deux mois pour libérer volontairement le logement. Ce délai, prévu par l’article L.412-1 du Code des procédures civiles d’exécution, peut être supprimé par le juge dans certaines situations exceptionnelles (occupation sans droit ni titre ab initio, entrée par voie de fait, etc.) ou au contraire prolongé jusqu’à trois ans si le relogement du locataire ne peut être assuré dans des conditions normales.
Si le locataire ne quitte pas les lieux à l’issue de ce délai, l’huissier tente une tentative d’expulsion. En cas d’absence du locataire ou de refus d’ouvrir, l’huissier doit solliciter l’autorisation du juge de l’exécution pour procéder à l’ouverture forcée des portes, en présence du maire de la commune (ou d’un conseiller municipal), d’une autorité de police et de deux témoins majeurs.
Les meubles présents dans le logement font l’objet d’un inventaire détaillé par l’huissier. Ils peuvent être :
- Laissés à la disposition du locataire pendant un mois pour qu’il les récupère
- Entreposés dans un garde-meuble aux frais du locataire pour une durée maximale d’un an
Passé ce délai, les biens non réclamés sont considérés comme abandonnés et peuvent être vendus aux enchères publiques. Le produit de la vente est consigné à la Caisse des dépôts et consignations pendant deux ans, période durant laquelle le locataire peut encore le réclamer.
L’exécution de la mesure d’expulsion est soumise à des restrictions temporelles importantes. En vertu de l’article L.412-6 du Code des procédures civiles d’exécution, aucune expulsion ne peut être mise en œuvre durant la trêve hivernale, qui s’étend du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante. Cette période de suspension a été exceptionnellement prolongée jusqu’au 10 juillet en 2020 en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, illustrant la flexibilité du législateur face aux circonstances exceptionnelles.
Les voies de recours et protections du locataire
Face à une procédure d’expulsion, le locataire dispose de multiples moyens juridiques pour défendre ses droits. Dès la réception de l’assignation, il peut saisir le bureau d’aide juridictionnelle pour bénéficier d’une assistance juridique gratuite ou partiellement prise en charge par l’État, selon ses ressources. Cette demande suspend les délais de recours contentieux jusqu’à la notification de la décision d’admission ou de rejet.
Le locataire peut contester la validité formelle de la procédure en soulevant des exceptions de procédure ou des fins de non-recevoir. Par exemple, un commandement de payer incomplet, ne mentionnant pas la possibilité de saisir le FSL, peut être frappé de nullité. De même, le non-respect du délai de deux mois entre la transmission de l’assignation au préfet et l’audience constitue une irrégularité de fond sanctionnée par la nullité de la procédure.
Sur le fond, le locataire peut invoquer des arguments de droit substantiel. Il peut notamment contester le montant de la dette locative, démontrer des manquements du bailleur à ses obligations (défaut d’entretien, non-respect de la décence du logement), ou soulever la compensation entre sa dette locative et les sommes que lui devrait le bailleur (remboursement de travaux, trop-perçu de charges).
Même après le prononcé d’un jugement d’expulsion, le locataire conserve des droits importants. Il peut solliciter des délais pour quitter les lieux auprès du juge de l’exécution en vertu de l’article R.412-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Cette demande peut être formulée à tout moment, depuis la délivrance du commandement de quitter les lieux jusqu’au moment de l’expulsion effective.
La loi DALO du 5 mars 2007 a instauré un dispositif majeur de protection avec le droit au logement opposable. Les personnes menacées d’expulsion sans relogement peuvent saisir la commission de médiation départementale pour être reconnues prioritaires pour l’attribution d’un logement social. En cas de décision favorable non suivie d’effet, elles peuvent exercer un recours devant le tribunal administratif, qui peut ordonner à l’État de loger la personne sous astreinte.
Le préfet dispose par ailleurs d’un pouvoir d’appréciation important dans l’octroi du concours de la force publique. Il peut refuser de l’accorder si l’expulsion risque de provoquer des troubles graves à l’ordre public ou en cas de vulnérabilité particulière du locataire (âge avancé, handicap, présence d’enfants en bas âge). Ce refus ouvre droit à indemnisation pour le propriétaire, à la charge de l’État, conformément à la jurisprudence Couitéas du Conseil d’État (30 novembre 1923).
Les dispositifs alternatifs à l’expulsion
La complexité et la longueur de la procédure d’expulsion, ainsi que ses conséquences sociales souvent dramatiques, ont conduit le législateur à développer des mécanismes préventifs visant à éviter le recours à cette mesure extrême. Ces dispositifs s’inscrivent dans une logique de maintien dans le logement ou, à défaut, d’accompagnement vers une solution de relogement adaptée.
Le protocole de cohésion sociale, institué par la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005, permet de transformer une dette locative en plan d’apurement échelonné. Conclu entre le bailleur et le locataire après résiliation du bail, ce protocole prévoit la reprise du paiement du loyer courant et l’échelonnement du remboursement des arriérés. Son respect entraîne la signature d’un nouveau bail, offrant ainsi une seconde chance au locataire.
Les commissions de surendettement peuvent inclure la dette locative dans un plan conventionnel de redressement ou recommander des mesures imposées, incluant des rééchelonnements, des réductions de taux d’intérêt, voire des effacements partiels de créances. L’article L.714-1 du Code de la consommation prévoit que le juge peut suspendre la procédure d’expulsion pendant la période de mise en œuvre des mesures de traitement du surendettement.
Le bail glissant représente une innovation juridique pertinente pour les ménages en difficulté. Une association intermédiaire se porte locataire en titre et sous-loue le logement à la personne en difficulté. Après une période probatoire démontrant la capacité du sous-locataire à respecter ses obligations, le bail « glisse » à son nom, lui conférant un statut de locataire de plein droit.
La garantie VISALE, dispositif mis en place par Action Logement, sécurise les bailleurs en garantissant le paiement des loyers impayés. Cette caution locative gratuite couvre jusqu’à 36 mensualités impayées dans le parc privé et 9 mensualités dans le parc social, réduisant ainsi le risque d’impayés conduisant à une procédure d’expulsion.
L’intermédiation locative constitue une solution préventive efficace. Des organismes agréés (associations, centres communaux d’action sociale) louent des logements à des propriétaires privés pour les sous-louer à des ménages en difficulté. Ce système sécurise le bailleur, qui perçoit un loyer garanti, tandis que le sous-locataire bénéficie d’un accompagnement social adapté à sa situation.
Ces dispositifs alternatifs s’inscrivent dans une approche globale de prévention des expulsions, privilégiant le maintien dans le logement chaque fois que possible. Leur efficacité dépend toutefois d’une mobilisation précoce, dès les premiers signes de difficulté, soulignant l’importance d’une détection rapide des situations à risque.
